Depeche Mode – Where’s the Revolution ?

08 02

J’ai longtemps hésité avant de m’exprimer sur le retour de Depeche Mode en terre girondine, et en commençant la rédaction de cette chronique, sous forme de report, j’ai conscience que je vais m’attirer les foudres de certains, voire les injures des plus extrémistes, mais il me semble qu’il est grand temps de reconnaitre l’inavouable : on ne peut pas être et avoir été…

Mon dernier rendez-vous avec le groupe remontait au 14 novembre 1990. Il s’était déroulé ici même, à Bordeaux. C’était pour le World Violation Tour et la sortie d’un album qui reste encore aujourd’hui, un des opus les plus extraordinaires de l’histoire. Mystérieux, sombre et novateur, inspirant toute une pléiade d’artistes, et ouvrant en grand, les portes d’une scène électronique, alors en pleine mutation…

Ayant obtenu mon billet pour assister à l’inauguration de l’Arena, la nouvelle salle de spectacles de la Métropole Bordelaise, je suis à la fois survolté et tourmenté.

Comment le dire sans blasphémer ?

J’ai follement aimé Depeche Mode. De « Speak & Spell » à « Violator » : dix années d’innovations, de frissons, de titres cultes, légendaires. Et après ? Vingt-cinq ans de tumulte, deux ou trois titres vaguement inspirés par album, des querelles d’égo entre Dave Gahan, le chanteur charismatique du groupe et Martin L.Gore, celui à qui l’on doit la quasi-totalité des titres de la formation anglaise. Des overdoses à répétition pour le premier et un alcoolisme grandissant pour le second : le groupe manque de se séparer entre chaque opus, et les rumeurs vont bon train.

Les ennuis commencent dès le début des années 80, avec le départ de Vince Clarke, auteur, entre autre, du célèbre « Just Can’t Get Enough » que les fans attendent à chaque représentation. Puis ce fut le tour d’Alan Wilder, son remplaçant, au milieu des années 90.

Le trio végète et survit depuis un quart de siècle grâce à une poignée de titres, diffusés entre un U2 et un Calogero sur RTL2. Soyons honnête : Depeche Mode réunis en grande majorité des quadras et des quinquas nostalgiques des tubes du siècle dernier. Un coup d’œil sur le public présent suffit pour comprendre que le trio britannique n’a pas vraiment réussis à gagner le cœur de la nouvelle génération.

C’est assez symptomatique de ces groupes et artistes dont le succès fut immédiat et dont la carrière longue ne repose en définitive que sur les titres du début. Je scrute néanmoins la sortie de chaque nouvel album, parce que je connais le potentiel de ces garçons, mais la déception est (presque) toujours au rendez-vous. Il y a évidemment quelques titres qui fonctionnent, certes, quelques lueurs d’espoir ici et là, un album au-dessus du précédent, un son DM bien spécifique mais rien qui vaille le coup de s’extasier. Aujourd’hui, seule la scène permet au groupe de réellement s’exprimer.

Il fait déjà nuit, j’ai réussi à rejoindre le quartier sans encombre. De l’extérieur, le bâtiment est extraordinaire beau. Rudy Ricciotti peut être fier de son œuvre : un gigantesque galet aux formes arrondies et aux allures de vaisseau spatial. 17000 mètres carrés de courbes et d’élégance, l’architecture soignée de l’édifice se retrouve également à l’intérieur. Cette nouvelle salle de concert est spacieuse, aérée, facile d’accès, on l’attendait depuis longtemps !

20h45 – Après la diffusion du clip consacré à l’action de charity: water avec qui, Depeche Mode et la marque Hublot collaborent depuis 2010, le trio se présente enfin, accompagné du claviériste Peter Gordeno et du batteur Christian Eigner. « Going backwards » issu du quatorzième et dernier album intitulé « Spirit », se révèlera comme étant une introduction idéale pour ce show qui s’annonce explosif.

Suivront « It’s no good », « Barrel of a gun » et « A pain that I’m used to » que Dave Graham viendra conclure avec son traditionnel « Don’t push me cause I’m close to the edge… », clin d’œil au titre de Grandmaster Flash : the message.

On retiendra ce petit couac sur l’intro de « Useless », qui n’empêchera pas le morceau de fonctionner, et Martin Gore se retrouvant seul pour une interprétation de « Home », à fleur de peau.

Les textes sont engagés, clips et dessins minimalistes se succèdent sur l’écran géant, mais la sauce prend difficilement.

N’en déplaise à certain, l’ensemble manque cruellement de spontanéité. Tout est calibré, millimétré, et il faudra attendre la seconde moitié du concert pour que les voix se chauffent, pour que le public bordelais sorte de sa torpeur et de sa légendaire froideur, pour que la magie opère enfin.

Parce que même s’il est toujours agréable d’observer le déhanché de Dave Gahan, et même si l’œil est toujours pétillant, force est de constater que la voix du quinquagénaire est un peu moins présente, que les traits sont tirés, que le chanteur emblématique du groupe semble terriblement usé par des années d’excès.

Et que dire d’Andrew Fletcher, si ce n’est que sa présence est devenue anecdotique, presque pathétique. Que fait-il derrière ses deux PCR 800 ? Quel est son rôle exactement ??

Au fil des ans, la New Wave a laissé place à un son plus Pop Rock, un peu moins Synth, un peu moins bidouilleur…

Heureusement, le miracle finira par se produire. Tout d’abord avec « in your room » : l’état de grâce de la soirée, accompagné sur écran par l’extraordinaire Acacia Schachte, dans une chorégraphie hypnotique et sensuel.

Puis déferleront les morceaux phares : « Everything Counts », « Stripped », « Enjoy the silence » et un « Never let me down again » qui retournera le public de l’Arena, dans une avalanche de son et de lumière. 11300 personnes debout et hurlant à tout rompre : l’apothéose. L’acoustique est excellente. Le son est mat, agréable, chaleureux.

Si l’on excepte la version piano/voix de « Strangelove », absolument indigeste, plombant l’ambiance, et les vaines tentatives de Dave Gahan pour faire entonner le refrain sur « Walking in my shoes », cette deuxième heure et en particulier le rappel, s’avère à la hauteur des attentes, me réconciliant avec les souvenirs que je gardais précieusement depuis mon adolescence.

So, where’s the revolution ??

Je n’ai pas osé interroger Alain Juppé mais à priori elle n’a pas eu lieu ici, pas ce soir, et apparemment elle n’est pas passée par les urnes non plus, ni en France ni aux Etats Unis : « it’s just a question of time… »

Julien Dumeau