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Arcade Fire : Reflektor (2013) : Orphée, Eurydice et… James Murphy !

23 03

Ce groupe de rock indépendant nous livre une interprétation magistrale, rythmée et sublimée du mythe d’Orphée et d’Eurydice au travers des influences que le groupe a su prendre lors des divers endroits de l’enregistrement et des collaborations qui ont nourri cet album.

Arcade Fire, j’en entends parler deux fois : Spike Jonze réalise leur clip The Suburbs, dont la mini vidéo Invisible Boards sera toujours une légende (sur Girl : yeah right ! Avec John Frusciante à la bande son) en plus de leur collaboration pour le film Her, la série d’ado juvénile Chuck où le protagoniste est féru du groupe et il ne manque pas de le faire savoir (Cf. saison 1 épisode 6). C’est donc vers 2009 qu’Arcade Fire intègre ma discographie. On va donc parler de leur plus grosse réussite en ce qui me concerne : Reflektor.

Arcade Fire est un groupe canadien de rock indépendant originaire de Montréal. Il est formé autour du couple Win Butler – Régine Chassagne et est composé de Richard Parry, Tim Kingsburry, Sarah Neufeld, et Jeremy Gara. Ils sortent au travers d’une stratégie marketing pleine d’happenings leur quatrième album Reflektor le 28 octobre 2013 qui a su s’imposer dans une année riche en sorties (Daft Punk, Jay-Z, Kayne West, Artic Monkeys, Drake…). Ainsi attaquer un album aussi bon et travaillé pour un chronique doit nécessairement être facile. Cependant comment faire passer cette envie qui me traverse de laisser tourner Reflektor en boucle ?

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Confluences géographiques et collaborations

Le groupe met du temps à sortir cet album (près de 4 ans depuis l’album The Suburbs) Il faut pouvoir rebondir lorsque le précédent est salué par la critique et est gratifié du Grammy du meilleur album.

Noirceur et Caraïbes

Arrivés en Jamaïque avec presque 60 maquettes non bouclées dans les valises, le groupe ne parvient pas à accoucher de morceaux finis. Mais baignant dans le terreau musical local, certains morceaux verront le jour tels que Reflektor grâce à leur rencontre avec Chris Blackwell (producteur émérite qui a notamment sorti Bob Marley and The Wailers). Ainsi l’album va se teinter de sonorités locales que l’on va découvrir tout au long de l’écoute intégrant même des rythmes de carnaval.

Cependant Arcade Fire reste un groupe empreint de mélancolie, mettant en musique avec brio le spleen adolescent ainsi que ce fut le cas notamment sur The Suburbs. Ils mêlent ainsi, ce mal être avec les influences musicales dans lesquelles ils baignent en permanence autour des vinyles que diffuse en boucle Win Butler qui vont de Daft Punk aux artistes locaux. Cependant, cet album reste celui de leur transformation. La grande question avec du recul sur cet album restera celle du rythme.  C’est là qu’intervient James Murphy.

James Murphy

L’influence principale de cet album est celle de James Murphy. Leader de feu LCD Soundsystem celui-ci fait jaillir l’envie du groupe d’enfin « laisser tourner bandes ». Ainsi les morceaux s’allongent. La musique prend son temps tout comme Murphy a su savamment le faire avec son groupe. Il crée une complicité avec le batteur Jeremy Gara afin de reprendre le rythme, le tempo des morceaux. Lors de leur retour à Montréal, puis à New York, il s’associe pleinement au groupe en termes de production marquant de sa touche cet album. Le groupe par réflexion, perçoit que lorsque « Murphy bat la mesure avec son pied, alors on est sur le bon chemin » ainsi que Butler plait à le raconter.

En outre le projet fait parler et certains artistes dans l’entourage de Murphy vont vouloir faire partie du projet. Citer David Bowie parmi ses idoles et voir ce dernier demander à rejoindre le projet (il fait partie des chœurs sur Reflektor). C’est une sorte d’apothéose…

Le double album

Enregistré en Haïti, La Jamaïque, Montréal et New York, Reflektor se compose de deux disques presqu’antagonique qui forme un tout triomphant. Il se construit autour du mythe d’Orphée et d’Eurydice ainsi qu’en témoigne la sculpture de Rodin en pochette. Le premier disque solaire teinté d’influences joyeuses semble bercer l’osmose d’Orphée et d’Eurydice et le second disque plus sombre, correspondant plus à l’ADN du groupe qu’on retrouve dans les trois premiers albums, marque la descente aux Enfers et la perte de l’être aimé.

Premier disque

Le premier disque contient 7 titres. Il démarre sur l’éblouissant Reflektor. Entre un disco patiné mais rendu moderne et un rythme qui s’impose comme un instrument, le morceau sur lequel Bowie fait partie des chœurs démarre ainsi en posant le cadre de cette virée onirique.

Arcade Fire : Reflektor

Entre le rock suranné des 80’s de We Exist et un morceau plus indé de Normal Person, Here comes the night time est le morceau de fête. Il reprend un rythmique célèbre de carnaval proche d’une samba dont le tempo évolue à mesure du morceau.

Arcade Fire: Here Comes the Night Time

Il se termine par Joan of Ark qui ne manquera pas de faire sourire les plus historiens d’entre nous dans le dialogue entre Français et Anglais renvoie à la Guerre de Cent ans. Cette marche presque guerrière précipite alors l’auditeur dans les tumultes du second album tout comme Orphée partit aux Enfers chercher Eurydice.

Second disque

La promenade mystique plus sombre plus torturée plus noire se poursuit sur les 6 chansons du second disque. Elle commence avec Here comes the night time II. Plus lancinante presque charmeuse. Si l’évidente référence à Orphée et Eurydice surgit sur les chansons Awful Sound (Oh Eurydice) et It’s Never Over (Hey Orpheus), alors qu’Orphée perd sa compagne à jamais de son vivant lors de sa sortie des Enfers, le point d’orgue reste pour moi Afterlife. Elle raconte leurs déchirants adieux dans la promesse d’une retrouvaille lointaine sur un rythme très caribéen enrobé d’électro de basse et de guitares. Supersymmetry.

Arcade Fire : Afterlife

Ovni, Porno reste pour moi une résurgence de leur poésie adulescente, me questionnant même sur sa place dans l’album musicalement. Cependant au niveau des paroles c’est le point de bascule, l’erreur ultime qu’Orphée fait en se retournant pour regarder son âme sœur, avant qu’elle ne s’évanouisse à jamais.

Ce disque est donc celui d’une rupture entre le rock indé qu’ils ont pu produire jusqu’à alors et cet album aux confluences sonores et géographiques. Il montre l’évolution du groupe, sublime l’importance du rythme et du temps que les morceaux doivent prendre. Sa construction mythique est aussi un atout majeur. C’est pourquoi il reste pour moi sans aucun doute un projet bien plus global qu’un album de musique en créant un monde graphique, coloré, rythmé mais aussi tortueux renvoyant à ce que le groupe sait fédérer comme émotions autour de lui. Ils triomphent donc sur cet album qui prend le temps.

Seb.